Afromedia.be : Avec le recul, comment expliquez-vous votre décision de poursuivre, sans arme, des gangsters armés ?
Ramsès Ramazani : Je ne me l’explique toujours pas. J’ai démarré au quart de tour. Pourtant, je suis marié et père de 4 enfants mais je n’ai pas pensé un instant à cet aspect primordial. D’ailleurs, après les faits, mon épouse et certains de mes proches m’ont engueulé pour avoir pris un tel risque. En réalité dès que j’ai entendu les coups de feu, il n’y a pas eu de réflexion : je me suis mis à leur poursuite. Animé par une irrépressible volonté de justice. Cette agression venait de se passer dans ma collectivité, sous mes yeux, j’étais directement concerné ! Je tiens d’ailleurs à souligner l’élément suivant : La personne qui est décédée et celle qui se trouve aux soins intensifs appartiennent à la communauté juive. Ce sont des juifs géorgiens. Pourquoi dire cela ? Pour montrer qu’au-delà des différences de couleurs de peau ou de confessions religieuses, ici à Matonge, nous sommes et travaillons en symbiose. Ces personnes qui ont été attaquées et sont en deuil ne sont pas des étrangers : ils sont miens. Pour moi, pour Aimé et beaucoup d’autres, il s’agit de la famille élargie.
A.be : Les malfrats avaient-ils une mallette en leur possession ?
R.R : Non, je suis formel. Les faits ont eu lieu à une quarantaine de mètres de ma personne. J’entends des coups de feu, me retourne vers l’endroit des détonations et je vois deux personnes de type européen surgir de la bijouterie et traverser la rue en courant. Je réalise qu’il s’agit de malfaiteurs et les poursuit immédiatement. Aimé Bolua fait de même et m’emboîte le pas. Lorsque les voleurs s’engouffrent dans la galerie de la Porte de Namur, je ne les vois pas se débarrasser de quoi que ce soit. Par contre, je m’aperçois qu’ils sont armés, je vois leurs mains, leurs pistolets, mais aucune mallette. Tout cela n’a pas duré une minute. Ils tournent dans la rotonde de la galerie pour ressortir au niveau du Quick et du métro. Ils redescendent ensuite à droite pour se retrouver sur le Champs de mars. A ce niveau-là, un des malfaiteurs prend un vélo. J’ignore s’il lui appartenait ou s’il l’a volé. Il nous a tenu en respect avec son arme et a pris la fuite. Nous avons continué à poursuivre celui qui était à pieds. Plus d’une fois, il nous a aussi menacés avec son pistolet. J’ignore encore pourquoi je n’ai ressenti aucune peur. Mon avantage, c’est que j’ai croisé son regard plusieurs fois lorsqu’il se retournait : cet homme était véritablement pris de panique ! J’avais l’ascendant. Dans sa course, je vois qu’il manipule une sorte de sac en tissu. Nous avons encore longé la statue équestre de Léopold II, puis le fuyard s’est réfugié dans un parc derrière des bâtiments. Lorsque j’y arrive, je vois qu’il cherche à se cacher dans les fourrés. Il n’avait plus son arme ni son sac de tissu. J’ai foncé sur lui et l’ai maîtrisé.
A.be : Vous étiez seul ?
R.R : A ce moment-là, oui. Je suis un peu plus sportif et courrais en tête. Aimé est arrivé quelques minutes plus tard et m’a aidé à le maintenir. Nous l’avons présenté aux gardes en faction du Palais Royal. Ceux-ci avaient vu la scène et sorti leurs armes, ne comprenant pas ce qui se passait. J’ai expliqué que l’homme que nous détenions venait de commettre un hold-up et que nous le poursuivions depuis la porte de Namur. Les gardes ont emmené le malfrat. Je suis retourné vers la chaussée de Wavre. A mon arrivée, je trouve les policiers sur les lieux et une victime étendue sur le trottoir. A ce moment-là, j’ignore qu’il y a décès et des blessés. J’informe directement un policier que nous avons appréhendé un des gangsters et que nous l’avons remis aux gardes du Palais Royal. Un autre officier me prend dans son véhicule et, toutes sirènes hurlantes, nous retournons au Palais Royal. Après une discussion entre les gardes et le policier et sur mes indications, l’officier appelle du renfort pour effectuer une battue. Ils ont retrouvé l’arme et le sac en tissu du gangster. Jusqu’à présent, j’en ignore le contenu.
A.be : A votre retour sur les lieux, vous avez été auditionné par la police. Combien de temps ?
R.R : Plus d’une heure. Avec une quinzaine d’autres personnes, j’ai été entendu dans le restaurant Cosi Cosi qui était devenu une sorte de commissariat. Il y avait des policiers assis un peu partout en train d’interroger des gens. Pour ma part, j’ai été auditionné avec Aimé et un jeune camerounais qui nous avait suivis durant la poursuite, armé d’un bâton.
A.be : Le soir du drame, avez-vous regardé les reportages diffusés par les JT de RTL-TVI et de la RTBF ?
R.R : Oui. J’estime que RTL est resté assez en phase avec ce que j’avais vu. Par contre, le compte-rendu de la RTBF contenait beaucoup d’inexactitudes.
A.be : Avez-vous noté que le journaliste de la RTBF a mis en doute le témoignage d’Aimé Bolua ?
R.R : Oui et j’ignore pour quelle raison il l’a fait. A mon second retour sur les lieux, je n’ai vu aucun journaliste de la RTBF sur place. Leur arrivée tardive a certainement dû jouer dans cette sorte de sous-traitance aléatoire qu’ils ont diffusée au JT. En tout cas, je vous confirme que, ce jour-là, j’ai été interviewé par plusieurs journalistes de presse écrite et celui de RTL m’a questionné plus d’une fois. Mais je n’ai jamais vu ou été contacté par celui de la RTBF.
A.be : Comment l’expliquez-vous ?
R.R : Je n’en sais rien. En dehors de l’audition où j’étais inaccessible, je suis resté longtemps sur place, avec une amie commerçante et avec les fils du bijoutier qui m’ont vivement remercié. Si les policiers m’ont interrogé, si plusieurs témoins m’ont vu poursuivre les malfrats, je pense que ce journaliste de la RTBF aurait pu s’interroger et me retrouver pour recouper le témoignage d’Aimé et recueillir le mien…
A.be : Que pensez-vous de ce contraste de traitement entre télé de service public et télé privée ?
R.R : Vous savez, j’habite à Matonge depuis dix ans. A chaque évènement grave, les journalistes débarquent en alerte. Régulièrement, ce sont ceux de RTL-TVI qui arrivent les premiers. La RTBF couvre évidemment les faits, mais ce sont des gens qu’on ne voit pas très rapidement sur le terrain ...
A.be : Vous avez le sentiment que le journaliste de la RTBF s’est strictement contenté de la parole officielle ?
R.R : C’est manifestement une personne qui pratique le journalisme en allant voir les officiels plutôt que les personnes de terrain. A ses yeux, ces dernières sont sans doute peu crédibles. Or, le porte-parole de la police a reconnu qu’au moment où nous avions réalisé l’essentiel de notre action la police n’était pas encore là. Je pense donc que ce journaliste aurait pu faire son travail et chercher plus loin. D’autant que je suis connu dans le quartier, comme l’agence de voyage pour laquelle je travaille et je fais aussi partie du Comité des commerçants de Matonge. Depuis lundi, beaucoup de journalistes m’ont contacté. Je suis également invité à débattre ce dimanche dans l’émission Controverse (RTL-TVI). L’ensemble de ces journalistes se sont simplement posé des questions et, eux, sont parvenus à me trouver …
A.be : Quatre jours après le drame, la RTBF n’a jamais mentionné votre action héroïque ni rectifier sa mise en doute de départ. Qu’en pensez-vous ?
R.R : Je ne sais pas comment ils travaillent. S’ils disposent de quelques « entrées », comme certains journalistes le prétendent parfois, je peux vous dire que mon numéro de téléphone figure sur le P-V d’audition de police ... D’autre part, pendant ces 4 jours, je n’ai reçu aucun appel de la RTBF. Ni de la radio, ni de la télé. Dans le même temps, j’ai été contacté par VTM, VRT, RTL-TVI, Radio Contact, La Capitale, Métro et d’autres journaux. Or, si je ne m’abuse, cela fait aussi partie du métier des journalistes que de s’informer sur ce que font les autres médias concurrents ...
A.be : Ce désintérêt assumé de la RTBF vous semble entrer en contradiction avec une éthique de service public ?
R.R : Absolument. Dans le domaine de l’éthique, la télévision de service public se doit d’être encore plus présente que la chaîne privée. Notamment parce que la RTBF est souvent perçue comme une référence. Mais aujourd’hui, il s’agit davantage d’une « référence de salons » qui hésite à descendre sur le terrain. Le cas d’espèce sur lequel vous m’interrogez l’indique de manière claire.
Propos recueillis par Olivier Mukuna
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